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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

membres palpitants de son prisonnier. Les plus fameuses républiques antiques n’avaient jamais admiré de courage plus ferme, d’âmes plus orgueilleuses, de plus intraitable amour de l’indépendance, que n’en cachaient alors les bois sauvages du Nouveau-Monde[1]. Les Européens ne produisirent que peu d’impression en abordant sur les rivages de l’Amérique du Nord ; leur présence ne fit naître ni envie ni peur. Quelle prise pouvaient-ils avoir sur de pareils hommes ? l’Indien savait vivre sans besoins, souffrir sans se plaindre, et mourir en chantant[2]. Comme tous les autres membres de la grande famille humaine, ces sauvages croyaient du reste à l’existence d’un monde meilleur, et adoraient sous différents noms le Dieu créateur de l’univers, Leurs notions sur les grandes vérités intellectuelles étaient en général simples et philosophiques (D).

Quelque primitif que paraisse le peuple dont nous traçons ici le caractère, on ne saurait pourtant douter qu’un autre peuple plus civilisé, plus avancé en toutes

  1. On a vu chez les Iroquois, attaqués par des forces supérieures, dit le président Jefferson (Observations sur la Virginie, p. 148), les vieillards dédaigner de recourir à la fuite ou de survivre à la destruction de leur pays, et braver la mort, comme les anciens Romains dans le sac de Rome par les Gaulois.

    Plus loin, p. 150 : « Il n’y a point d’exemple, dit-il, d’un Indien tombé au pouvoir de ses ennemis qui ait demandé la vie. On voit au contraire le prisonnier rechercher pour ainsi dire la mort des mains de ses vainqueurs, en les insultant et les provoquant de toutes les manières.

  2. Voyez Histoire de la Louisiane, par Lepage-Dupratz ; Charlevoix, Histoire de la Nouvelle-France ; Lettres du R. Hecwelder, Transactions of the American philosophical society, v. 1 ; Jefferson, Observations sur la Virginie, p. 135-190. Ce que dit Jefferson est surtout d’un grand poids, à cause du mérite personnel de l’écrivain, de sa position particulière, et du siècle positif et exact dans lequel il écrivait.