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GOUVERNEMENT FÉDÉRAL.

seulement consenti à ce que le gouvernement fédéral leur dictât des lois, mais encore à ce qu’il fît exécuter lui-même ses lois.

Dans les deux cas le droit est le même, l’exercice seul du droit est différent. Mais cette seule différence produit d’immenses résultats.

Dans toutes les confédérations qui ont précédé l’Union américaine de nos jours, le gouvernement fédéral, afin de pourvoir à ses besoins, s’adressait aux gouvernements particuliers. Dans le cas où la mesure prescrite déplaisait à l’un d’eux, ce dernier pouvait toujours se soustraire à la nécessité d’obéir. S’il était fort, il en appelait aux armes ; s’il était faible, il tolérait la résistance aux lois de l’Union devenues les siennes, prétextait l’impuissance, et recourait à la force d’inertie.

Aussi a-t-on constamment vu arriver l’une de ces deux choses : le plus puissant des peuples unis, prenant en main les droits de l’autorité fédérale, a dominé tous les autres en son nom[1] ; ou le gouvernement fédéral est resté abandonné à ses propres forces, et alors l’anarchie s’est établie parmi les confédérés et l’Union est tombée dans l’impuissance d’agir[2].

En Amérique, l’Union a pour gouvernés, non des

  1. C’est ce qu’on a vu chez les Grecs, sous Philippe, lorsque ce prince se chargea d’exécuter le décret des amphictyons. C’est ce qui est arrivé à la république des Pays-Bas, où la province de Hollande a toujours fait la loi. La même chose se passe encore de nos jours dans le corps germanique. L’Autriche et la Prusse se font les agents de la diète, et dominent toute la confédération en son nom.
  2. Il en a toujours été ainsi pour la confédération suisse. — Il y a des siècles que la Suisse n’existerait plus sans les jalousies de ses voisins.