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DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE.

et irrésistible attaquent d’une manière directe l’existence du gouvernement.

Le plus grand mérite des législateurs américains est d’avoir aperçu clairement cette vérité, et d’avoir eu le courage de la mettre en pratique.

Ils conçurent qu’il fallait qu’en dehors du peuple il y eût un certain nombre de pouvoirs qui, sans être complétement indépendants de lui, jouissent pourtant, dans leur sphère, d’un assez grand degré de liberté ; de telle sorte que, forcés d’obéir à la direction permanente de la majorité, ils pussent cependant lutter contre ses caprices, et se refuser à ses exigences dangereuses.

À cet effet, ils concentrèrent tout le pouvoir exécutif de la nation dans une seule main ; ils donnèrent au président des prérogatives étendues, et l’armèrent du véto, pour résister aux empiétements de la législature.

Mais en introduisant le principe de la réélection, ils ont détruit en partie leur ouvrage. Ils ont accordé au président un grand pouvoir, et lui ont ôté la volonté d’en faire usage.

Non rééligible, le président n’était point indépendant du peuple, car il ne cessait pas d’être responsable envers lui ; mais la faveur du peuple ne lui était pas tellement nécessaire qu’il dût se plier en tout à ses volontés.

Rééligible (et ceci est vrai, surtout de nos jours, où la morale politique se relâche, et où les grands caractères disparaissent), le président des États-Unis n’est qu’un instrument docile dans les mains de la majorité. Il aime ce qu’elle aime, hait ce qu’elle hait ;