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LE COLLAGE

Son père trouvé mort sous la barricade, la poitrine trouée. Les longues années d’adolescence misérable, seul avec sa mère, dans leur étroit logement de la rue Saint-Vincent à Montmartre. Son cabinet mansardé, tout là-haut, d’où la fenêtre avait vue sur les tombes blanches du petit cimetière. Le lit prenait presque toute la place ; on y brûlait l’été, l’hiver il y pleuvait. Mais que d’après-midi du dimanche passés là, à lire le Contrat social et deux ou trois volumes dépareillés de Proudhon, tandis que ses jeunes camarades couraient les cafés, les bastringues ! Lui, tâchait de s’instruire, réfléchissait, échafaudait toute sorte de beaux rêves où l’humanité, transfigurée par l’instruction et les bienfaits d’une République idéale, vivait très bonne et très heureuse.

Bientôt, à ses rêves de bonheur social, s’en mêlèrent d’autres, plus intimes, plus doux. Il avait commencé à désirer la femme, l’amour de la femme. Vivre heureux et libre, dans la paix universelle, ne lui suffisait plus : le bonheur serait de vivre à deux. Un bras plus délicat qui s’appuierait sur le sien ! Une compagne, une moitié de lui-même, qui partagerait ses joies et ses peines ! Avoir un intérieur, où il reposerait, après les labeurs de la journée.

Même, il se souvenait d’une époque troublée, cuisante et malsaine, de son adolescence. La nuit, des désirs de feu, des visions voluptueuses le te-