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LE RETOUR DE JACQUES CLOUARD

d’heure, vêtu de ses plus beaux habits, c’est-à-dire d’un pantalon gris et d’une longue redingote noire, mal faite et râpée, il prit le tramway qui va de Carouge dans l’intérieur de Genève.

En descendant du tramway, Clouard se dirigea vers le Café de la Couronne. C’était l’heure de l’absinthe, le café regorgeait de consommateurs. Le temps étant magnifique, toutes les tables du dehors se trouvaient occupées. Ce Café de la Couronne, et le Café de Paris, un peu plus loin, en face du Rhône, étaient alors le rendez-vous des réfugies français. Les célèbres de l’insurrection, ceux qui avaient occupé un poste important et les journalistes, venaient là régulièrement, surtout ceux qui, ayant la nostalgie du café de Madrid ou du café de Suède, n’auraient pas manqué, même pour une commutation de peine, d’y flâner chaque soir, pour lire et commenter les journaux, deviser, discuter, cancaner, enfin se croire un peu sur le boulevard. Ce jour-là, outre les habitués, tout le ban et l’arrière-ban des communards se trouvaient au Café de la Couronne, formant un grand cercle. Du plus loin que Clouard fut aperçu, ses compatriotes, même ceux qui auraient été fort embarrassés de dire son nom, le reconnurent, et l’appelèrent, en faisant de grands bras : « Bonjour, mon vieux ! — Qu’est-ce que tu prends ? — Tiens ! voilà une chaise. — Il a fallu ça pour te démarrer : on ne te voit jamais ! — À propos,