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y voir clair aussi bien en soi qu’en autrui ; c’est avoir le perpétuel sentiment de l’imperfection de ses facultés et du néant de l’homme. Heureux les artistes créateurs, qui ne sont pas affligés du, sens critique ! Ceux-là au moins peuvent s’illusionner sur leur puissance, vivre dans un continuel éblouissement d’eux-mêmes, jouir vraiment de leur œuvre, qu’ils trouvent plus belle à mesure qu’ils la contemplent. C’est Courbet en extase devant une de ses toiles, un sourire de contentement aux lèvres, et se répétant à lui-même : « C’est comique ! c’est comique ! » Ce sont les grands lyriques, croyant que Dieu parle par leur bouche, se posant en prophètes dont les chants sublimes annoncent l’avenir. Tandis que celui dont je parle n’est, en comparaison de ces robustes illuminés, qu’un malheureux douteur, doutant de lui plus encore que des autres, se martyrisant sans cesse, ne pouvant même se relire. Une œuvre faite est, pour lui, une œuvre qui n’existe plus. Très rarement content des trois ou quatre pages qu’il produit chaque jour, se rendant malade plus tard et tenté de tout refaire lorsqu’il les revoit en épreuves, il jette le livre de côté dès qu’il est paru. Il aurait trop peur, s’il s’amusait à le relire, d’y découvrir à chaque ligne des abîmes d’erreur et de faiblesse. Dès lors, préférant ne plus y penser et reporter toute sa passion en avant, vers l’œuvre future, il ne vit que pour celle-ci, se bat les flancs pour croire qu’enfin il s’y contentera,