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LES QUATRE FILLES DU DOCTEUR MARSCH.

en Amérique. Ce dîner de Jo resta bien longtemps célèbre dans toutes les mémoires comme un sujet de rires sans fin. Sans doute, elle avait fait de son mieux ; mais elle découvrit, ce jour-là, que, pour faire une cuisinière, il faut quelque chose de plus que de l’audace et de la bonne volonté.

Elle fut obligée de reconnaître, en servant chacun des plats de son dîner, que les têtes des asperges étaient presque toutes réduites en bouillie, et que les tiges, les branches étaient dures comme du bois ; que le pain calciné était devenu du charbon ; que les pommes de terre étaient à moitié crues ; que la langouste était belle et très rouge à l’œil, mais vide ; que sa salade, cent fois trop assaisonnée, était exécrable, et qu’enfin, si le blanc-manger n’était que de l’eau, les framboises étaient sûres.

La pauvre Jo aurait bien voulu pouvoir se cacher sous terre en voyant ses plats aussitôt délaissés que goûtés. Amy riait sous cape, Meg semblait déconcertée, miss Cracker faisait la moue ; seul Laurie faisait à mauvais dîner bon visage. Jo comptait se rattraper sur la crème, qu’elle avait si bien battue et sucrée. En voyant Laurie en avaler gaiement une grande cuillerée, elle crut qu’elle allait pouvoir respirer. Mais que devint-elle, quand, regardant la bonne petite Beth, elle la vit toute suffoquée comme quelqu’un qui a dans la bouche quelque chose dont il ne parvient pas à se débarrasser en l’absorbant !

« Oh ! qu’y a-t-il ? s’écria Jo en tremblant.

— Du sel, bien sûr, au lieu de sucre, ma pauvre Jo, et beaucoup de sel ! » répondit Meg avec un geste tragique.

Jo poussa un gémissement en retombant sur sa chaise. Elle devint écarlate, et était sur le point de pleurer,