Page:Alain - Propos sur le Bonheur (ed. 1928).djvu/188

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LXI

LE CULTE DES MORTS

Le culte des morts est une belle coutume ; et la fête des morts est placée comme il faut, au moment où il devient visible, par des signes assez clairs, que le soleil nous abandonne. Ces fleurs séchées, ces feuilles jaunes et rouges sur lesquelles on marche, les nuits longues, et les jours paresseux qui semblent des soirs, tout cela fait penser à la fatigue, au repos, au sommeil, au passé. La fin d’une année est comme la fin d’une journée et comme la fin d’une vie ; comme l’avenir n’offre alors que nuit et sommeil, naturellement la pensée revient sur ce qui a été fait et devient historienne. Il y a ainsi harmonie entre les coutumes, le temps qu’il fait et le cours de nos pensées. Aussi plus d’un homme, en cette saison, va évoquer les ombres et leur parler.

Mais comment les évoquer ? Comment leur plaire ? Ulysse leur donnait à manger ; nous leur portons des fleurs ; mais toutes les offrandes ne sont que pour tourner nos pensées vers eux et mettre la conversation en train. Il est assez clair que c’est la pensée des morts que l’on veut évoquer et non leur corps ; et il est clair que c’est en nous-mêmes que