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LVIII

DE LA PITIÉ

Il y a une bonté qui assombrit la vie, une bonté qui est tristesse, que l’on appelle communément pitié, et qui est un des fléaux humains. Il faut voir comment une femme sensible parle à un homme amaigri et qui passe pour tuberculeux. Le regard mouillé, le son de la voix, les choses qu’on lui dit, tout condamne clairement ce pauvre homme. Mais il ne s’irrite point ; il supporte la pitié d’autrui comme il supporte sa maladie. Ce fut toujours ainsi. Chacun vient lui verser encore un peu de tristesse ; chacun vient lui chanter le même refrain : « Cela me crève le cœur, de vous voir dans un état pareil. »

Il y a des gens un peu plus raisonnables, et qui retiennent mieux leurs paroles. Ce sont alors des discours toniques : « Ayez bon courage ; le beau temps vous remettra sur pied. » Mais l’air ne va guère avec les paroles. C’est toujours une complainte à faire pleurer. Quand ce ne serait qu’une nuance, le malade la saisira bien ; un regard surpris lui en dira bien plus que toutes les paroles.

Comment donc faire ? Voici. Il faudrait n’être pas triste ; il faudrait espérer ; on ne donne aux gens que