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LV

JÉRÉMIADES

Ce que je vous souhaite pour cette année qui recommence, c’est-à-dire pour le temps qu’il faut au soleil pour remonter à son plus haut et redescendre ensuite au plus bas, ce que je vous souhaite, c’est de ne pas dire et aussi de ne pas penser que tout va de mal en pis. « Cette soif de l’or, cette ardeur au plaisir, cet oubli des devoirs, cette insolence de la jeunesse, ces vols et ces crimes inouïs, cette impudence des passions, ces saisons folles enfin, qui nous apportent presque des soirées tièdes au cœur de l’hiver », voilà un refrain vieux comme le monde des hommes ; il signifie seulement ceci : « Je n’ai plus l’estomac ni la joie de mes vingt ans. »

Encore si ce n’était qu’une manière de dire ce que l’on éprouve, on supporterait ce discours, comme on supporte la tristesse de ceux qui sont malades. Mais les discours ont par eux-mêmes une puissance démesurée ; ils enflent la tristesse, ils la grossissent, ils en recouvrent toutes les choses comme d’un manteau, et ainsi l’effet devient cause, comme on voit