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LIV

DÉCLAMATIONS

Quelquefois on rencontre sur la route un spectre humain qui se chauffe au soleil ou qui se traîne vers sa maison ; cette vue de l’extrême décrépitude et de la mort imminente nous inspire une horreur insurmontable au premier moment ; nous fuyons en disant : « Pourquoi cette chose humaine n’est-elle pas morte ? » Elle aime encore la vie, pourtant ; elle se chauffe au soleil ; elle ne veut pas mourir. Dur chemin pour nos pensées ; la réflexion souvent y trébuche, se blesse, s’irrite, se jette dans un mauvais sentier. C’est bientôt fait.

Comme je cherchais la bonne route, après une vue de ce genre, par discours prudents et tâtonnants, je voyais devant moi un ami tout tremblant de mauvaise éloquence, avec des feux d’enfer dans les yeux. Enfin il éclata : « Tout est misère, dit-il. Ceux qui se portent bien craignent la maladie et la mort ; ils y mettent toutes leurs forces ; ils ne perdent rien de leur terreur ; ils la goûtent tout entière. Et voyez ces malades ; ils devraient appeler la mort ; mais point du tout ; ils la repoussent ; cette crainte s’ajoute à leurs maux. Vous dites : Comment