Page:Alain - Propos sur le Bonheur (ed. 1928).djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LII

VOYAGES

En ce temps de vacances, le monde est plein de gens qui courent d’un spectacle à l’autre, évidemment avec le désir de voir beaucoup de choses en peu de temps. Si c’est pour en parler, rien de mieux ; car il vaut mieux avoir plusieurs noms de lieux à citer ; cela remplit le temps. Mais si c’est pour eux, et pour réellement voir, je ne les comprends pas bien. Quand on voit les choses en courant elles se ressemblent beaucoup. Un torrent, c’est toujours un torrent. Ainsi celui qui parcourt le monde à toute vitesse n’est guère plus riche de souvenirs à la fin qu’au commencement.

La vraie richesse des spectacles est dans le détail. Voir, c’est parcourir les détails, s’arrêter un peu à chacun, et, de nouveau, saisir l’ensemble d’un coup d’œil. Je ne sais si les autres peuvent faire cela vite et courir à autre chose, et recommencer. Pour moi, je ne le saurais. Heureux ceux de Rouen qui, chaque jour, peuvent donner un regard à une belle chose et profiter de Saint-Ouen, par exemple, comme d’un tableau que l’on a chez soi.

Tandis que si l’on passe dans un musée une seule