Page:Alain - Propos sur le Bonheur (ed. 1928).djvu/151

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XLVII

ARISTOTE

Faire et non pas subir, tel est le fond de l’agréable. Mais parce que les sucreries donnent un petit plaisir sans qu’on ait autre chose à faire qu’à les laisser fondre, beaucoup de gens voudraient goûter le bonheur de la même manière, et sont bien trompés. On reçoit peu de plaisir de la musique si l’on se borne à l’entendre et si on ne la chante point du tout, ce qui faisait dire à un homme ingénieux qu’il goûtait la musique par la gorge, et non point par l’oreille. Même le plaisir qui vient des beaux dessins est un plaisir de repos, et qui n’occuperait pas assez, si l’on ne barbouillait soi-même, ou si l’on ne se faisait une collection ; ce n’est plus seulement juger, c’est rechercher et conquérir. Les hommes vont au spectacle et s’y ennuient plus qu’ils ne veulent l’avouer ; il faudrait inventer, ou tout au moins jouer, ce qui est encore inventer. Chacun a souvenir de ces comédies de société, où les acteurs ont tout le plaisir. Je me souviens de ces heureuses semaines où je ne pensais qu’à un théâtre de marionnettes ; mais il faut dire que je taillais l’usurier, le militaire, l’ingénue et la vieille femme dans des