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XLIII

HOMMES D’ACTION

Un préfet de police est, pour mon goût, l’homme le plus heureux. Pourquoi ? Parce qu’il agit toujours, et toujours dans des conditions nouvelles et imprévisibles ; tantôt contre le feu, tantôt contre l’eau ; tantôt contre l’éboulement, tantôt contre l’écrasement ; aussi contre la boue, la poussière, les maladies, la pauvreté ; enfin souvent aussi contre la colère, et quelquefois contre l’enthousiasme. Ainsi, à chaque minute de sa vie, cet homme heureux se trouve en présence d’un problème bien déterminé, qui exige une action bien déterminée. Donc, point de règles générales ; point de paperasses ; point de récriminations ni de consolations en forme de rapport administratif ; il laisse cela à quelques bureaucrates. Lui, il est perception et action. Or, quand ces deux vannes, perception et action, sont ouvertes, un fleuve de vie porte le cœur de l’homme comme une plume légère.

Là est le secret des jeux. Jouer au bridge, c’est faire couler la vie de la perception à l’action. Jouer au foot-ball, encore mieux. Sur une donnée nouvelle, imprévisible, dessiner promptement une action, et,