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XLI

ESPÉRANCE

Un incendie me faisait penser à l’Assurance. Voilà une déesse qui n’est pas aimée, à beaucoup près, comme la Fortune. On la redoute ; on lui porte de maigres offrandes, sans aucun enthousiasme. Et cela est aisé à comprendre ; les bienfaits de l’assurance ne se montrent qu’en même temps que le malheur. Le plus grand bien c’est évidemment de n’avoir point le feu chez soi ; mais c’est un bien de toutes les minutes, qu’on ne sent point, comme d’avoir ses bras et ses jambes. Au regard de ce bonheur négatif, l’argent dont on le paie semble follement donné. Je ne vois que les grandes entreprises qui paient la prime sans tristesse, comme elles paient tout ; mais je plains aussi ces capitaines du commerce qui ne savent pas à la fin d’une journée s’ils ont perdu ou gagné ; sans doute leur plaisir réel vient surtout du pouvoir qu’ils exercent sur une armée de commis. Ceux qui ont de grandes espérances et de petits moyens ne peuvent aimer l’assurance. Imagine-t-on un commerçant qui s’assurerait contre la ruine ? Rien ne serait plus facile s’ils mettaient tous en commun les bénéfices qui dépassent l’ordinaire. Ainsi les mai-