Page:Aimard - Par mer et par terre : le corsaire.djvu/286

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’espoir du pillage ; ces écumeurs de grands chemins demandaient l’aumône comme le mendiant de Gil Blas, ou, le plus souvent, quand ils se sentaient en force, ils mettaient à contribution les chacras, les quintas, les villages et même parfois les villes.

Il n’y avait encore d’organisation d’aucune sorte ; la police n’existait que sur plan, à l’état de projet ; les citoyens en étaient réduits à faire eux-mêmes la police, et à se sauvegarder, les armes à la main, contre les bandits de toutes sortes, qui, semblables aux nuées de sauterelles des déserts africains, se ruaient de toutes parts sur ce beau pays, pour détruire ce que la guerre avait respecté, et compléter ainsi sa ruine.

Par une belle et fraîche matinée du mois de juin 18.., deux hommes, couverts du pittoresque costume des chacareros de la province de Maule, au Chili : — culotte de velours bleu, serrée aux hanches par une large ceinture de crêpe de Chine rouge, veste de la même étoffe, poncho bariolé de fabrique indienne, polenas montant au-dessus du genou, et éperons d’argent à mollettes grandes comme des soucoupes, attachés aux talons, et sombrero de paille de Goyaquil à larges bords, — étaient assis, sur l’herbe, dans une vaste clairière d’une épaisse forêt située entre Concepcion et Talca, capitale de la province de Maule.

Ces deux hommes, assis, non pas positivement sur l’herbe, mais sur les magnifiques pellones de leurs monturas, causaient de bouche à oreille, tout en fumant d’excellents puros dont la fumée blanche, taquinée par le vent, formait de capricieuses paraboles au-dessus de leurs têtes.