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revenus en France, mais sans jamais retourner à Dunkerque ; nos relâches avaient été Calais, Boulogne et d’autres petits ports de la côte.

Nous avions fait une excellente pêche, et cette fois nous avions mis le cap sur notre port d’armement, c’est-à-dire sur Dunkerque ; un matin, je mettais au net le livre de loch.

— Mon pauvre gars, me dit le patron, nous allons nous séparer avant une heure ; je ne veux pas que tu rentres à Dunkerque : le pays n’est pas sain pour toi. Ne m’interroge pas, ce serait inutile, je ne te répondrais pas ; qu’il te suffise de savoir que j’agis dans ton intérêt et pour ton bien ; je vais te mettre à terre, là, sur cette côte ; je dirai que tu as déserté, et il n’en sera que cela ; fais ton sac et sois prêt. Tiens, voici cent francs : c’est plus que je ne te dois, parce que je t’ai fourni pas mal d’effets ; mais c’est égal, ne t’inquiète pas ; tu es fin matelot, tu as de l’argent et une langue : avec ça, le monde t’appartient. Dépêche-toi, avant dix minutes tu seras à terre.

Jamais le patron Cabillaud ne m’avait parlé ainsi ; il y avait dans sa voix, toujours si rude, une émotion que je ne connaissais pas ; je sentais des larmes dans mes yeux.

— Ne pleure pas, reprit-il ; ce que je fais, c’est pour ton bien, tu m’en remercieras plus tard ; tu es un bon petit gars, je ne veux pas qu’il t’arrive malheur. Allons patine-toi, il n’est que temps !

J’obéis. Je me hâtai de faire mon sac ; il était lourd et rempli de tous les vêtements nécessaires à un matelot.

On mit un canot à la mer ; le patron et les matelots m’embrassèrent. Je n’aurais jamais supposé