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vais échappé que par miracle ! En apparence, ma vie ne tenait qu’à un fil ; le métier qu’on m’imposait aurait facilement raison de moi !

C’était tout au plus une affaire de cinq ou six mois ; puis, un jour, je succomberais, tué par la fatigue et les mauvais traitements, et tout serait dit.

Et ne croyez pas, messieurs, que ce soit une simple hypothèse ? que je me plais à faire de l’horrible à froid, et à calomnier ceux auxquels je dois si malheureusement l’existence ? Non pas ! Tels étaient bien leurs hideux calculs, le plan arrêté de longue main par eux : j’en ai eu plus tard la preuve.

Bref, j’étais embarqué en qualité de mousse sur le chasse-marée le Goëland, jaugeant soixante-cinq tonneaux, frété pour la pêche aux harengs, dans la mer du Nord et la Baltique, commandé par le patron Cabillaud, maître au cabotage, ayant sous ses ordres six hommes d’équipage, lui compris, et un mousse qui était moi.

Le patron Cabillaud était une brute, dans toute l’acception du mot ; grâce à Dieu, la marine n’en compte plus aujourd’hui beaucoup comme lui dans ses rangs.

C’était un brutal, ne parlant jamais sans avoir un bout de filin à la main ; traitant tous ceux qui, pour leur malheur, dépendaient de lui, à coups de pied et à coups de poing ; mais, en somme, il se faisait beaucoup plus méchant qu’il ne l’était en réalité ; au fond, c’était un brave homme.

Son costume était caractéristique ; il avait des bottes de mer lui montant jusqu’à moitié des cuisses, un énorme paletot, nommé nord-ouest, par dessus une grosse chemise de laine rouge, et