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nom ; mais c’était un gentilhomme dissolu, perdu de dettes et dont la réputation était exécrable. Les assiduités de cet homme furent mal reçues ; elles déplurent surtout au frère de cette jeune fille ; celui-ci s’expliqua avec le Prince, car ce gentilhomme était Prince ; puis, à la suite d’événements qui n’ont jamais été bien expliqués, une rencontre eut lieu entre les deux hommes, tous deux disparurent. On les crut morts.

Le silence se fit sur cette ténébreuse affaire ; Mlle  Sancia de Manfredi-Labaume, tel était le nom de celle qui plus tard devint ma femme, fut appelée à la cour près de la reine mère, dont elle était la filleule. La conduite irréprochable de cette jeune fille tranchait, au milieu de l’abandon, peut-être un peu trop galant, de la régence, et la faisait fort rechercher ; je l’aimai passionnément, elle daigna me distinguer parmi mes rivaux et agréer mes respectueuses assiduités ; elle me fut accordée par la reine mère, à qui je demandai sa main. Avant de m’épouser, Mlle  de Manfredi-Labaume exigea qu’en présence de sa royale marraine et du médecin de la cour, le docteur Guénaud, elle aurait avec moi un entretien, dont disait-elle, dépendait notre union ; alors cette jeune fille si pure, si chaste, me confessa, la rougeur au front, les faits odieux accomplis quelques années auparavant, et dont elle avait été la victime innocente ; cette déclaration loyale, cette noble franchise, augmentèrent encore s’il est possible, mon amour pour elle. Je l’épousai ; depuis, Dieu m’est témoin que, chaque jour, j’ai béni cette union qui a fait le bonheur de ma vie. Je vous ai dit que le comte de Manfredi-Labaume, frère de la duchesse et le Prince dont je vous tais le nom, avaient disparu ; qu’ils passaient pour morts ; un de ces deux hommes du moins est encore vivant, c’est le Prince ; vous l’avez rencontré à Saint-Domingue, où il se faisait passer pour frère de la Côte, en se cachant sous le nom de Chat-Tigre.

— Et quoi ? s’écria l’Olonnais, ce misérable espion, vendu à l’Espagne, ce traître indigne ?