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L’Olonnais aperçut alors M. de la Torre, assis ou plutôt affaissé dans un fauteuil.

Le duc était pâle, ses traits bouleversés, malgré ses efforts pour se contenir, avaient une expression de douleur immense ; il salua le jeune homme de la main, en lui faisant signe de s’asseoir.

Il y eut un instant de silence.

Enfin le duc, après avoir deux ou trois fois passé la main sur son front moite de sueur, se redressa péniblement sur son fauteuil, et d’une voix sourde et tremblante :

— Excusez-moi, mon ami, dit-il, je viens de souffrir une angoisse terrible. Sans vous en douter, hélas ! et dans les meilleures intentions, vous m’avez infligé un horrible supplice.

— Oh ! M. le duc ! s’écria le jeune homme avec l’expression d’une tristesse réelle ; serait-il possible que j’eusse fait cela en effet ? moi qui au prix de ma vie, voudrais vous éviter le plus léger chagrin.

— Hélas ! mon ami, cela est ainsi ; j’aurais tort de me plaindre ! vous n’avez été en cette circonstance que la tige d’acier, dont s’est servi la main habile d’un chirurgien pour sonder la blessure que je renferme dans mon cœur, en m’obstinant à la cacher à tous les yeux. Je ne vous en veux pas ; je ne puis pas vous en vouloir ; votre intention était bonne. Mais revenons à ce qui doit être le sujet de notre entretien ; ne cherchez pas à vous apitoyer sur une douleur que vous ignorez ; cependant votre dévouement à toute épreuve, votre amitié sans bornes, exigent de moi que je ne conserve pas de secrets pour vous ; que je vous ouvre mon âme tout entière.

— Monsieur le duc, vos paroles me touchent vivement ; mais permettez moi de vous faire observer que je suis bien jeune, peut-être bien ignorant, pour la confiance que vous daignez mettre en moi. N’en est-il pas d’autres, parmi vos si nombreux amis, auxquels vous puissiez sans danger, confier ce lourd secret.

— Non, reprit le duc en souriant avec amertume ; je ne