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gie ; ce temps si court suffira pour nous sauver en permettant à nos amis d’arriver.

— Ordonnez, ordonnez ! s’écrièrent la duchesse et sa fille, auxquelles l’excès même de leur terreur avait donné ce courage fébrile, cette espèce de folie furieuse que s’empare des gens les plus doux, et tranchons le mot, les plus poltrons, lorsqu’ils sont poussés à bout, et les rend alors d’autant plus redoutables, qu’ils n’ont plus conscience du danger qu’ils affrontent.

Fleur-de-Mai s’était mise à la tête du mouvement ; les meubles massifs, dont l’appartement était garni, furent à grand’peine traînés devant les deux seules issues existantes, entassés pêle-mêle les uns sur les autres ; ils formèrent bientôt dans chacune des deux antichambres, des barricades, d’autant plus difficiles à démolir, que ces deux pièces fort étroites se trouvaient ainsi littéralement bondées de meubles, et que pour les renverser, il fallait de toute nécessité, les tirer en dehors ou les jeter par la fenêtre.

À peine ce travail si pénible pour les deux dames, mais qu’elles exécutèrent avec une rapidité fiévreuse, fut-il terminé, qu’une clé grinça dans la serrure, et l’on essaya d’ouvrir la porte, mais vainement ; retenue à l’intérieur par les meubles, la porte ne remua pas plus que si elle eut été murée.

— Ouvrez ! cria le Chat-Tigre avec colère.

— Ouvrez vous-même, répondit Fleur-de-Mai d’une voix goguenarde.

— Cessez ces moqueries qui me pousseront à quelque extrémité, malgré moi ; hâtez-vous d’ouvrir, sinon je défonce la porte.

— Nous n’ouvrirons pas ; défoncez si vous l’osez, mais prenez garde !

— Des menaces ? allons, enfants ! des pinces, des leviers, jetez-moi cette porte en dedans !

Fleur-de-Mai saisit rapidement la duchesse et sa fille par la main et les entraîna dans une pièce reculée de l’appartement.