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— Allons, allons, pas de fausse honte, camarade ; reprit le jeune homme, que diable, il y en aura bien assez pour nous deux.

L’inconnu ne se fit pas prier davantage ; il laissa tomber son bâton, s’assit en face du flibustier, et commença, nous ne dirons pas à manger, mais à engloutir avec une voracité telle que, dans son intérêt même, Pitrians fut contraint à plusieurs reprises de la modérer.

Lorsque enfin le repas fut terminé par suite de la disparition totale des comestibles et que l’inconnu eut avalé une large rasade d’eau-de-vie, ses traits se détendirent, une expression joyeuse sembla épanouir son visage flétri par les privations.

— Ah ! s’écria-t-il avec une expression impossible à rendre, c’est bon de manger ; il y avait longtemps que je n’avais fait un aussi bon repas.

— Je suis heureux, répondit le jeune homme en riant, je suis heureux, mon camarade, d’avoir pu vous aider à satisfaire un appétit, qui si j’en juge par les exploits que vous venez d’accomplir, a dû être aiguisé par un long jeûne.

— Oui, reprit cet homme avec un sourire triste, il y a bien longtemps en effet ; voici trois mois que je ne me nourris que des racines et des fruits que je trouve sur mon chemin.

— Trois mois ! s’écria Pitrians avec surprise ; et vous avez pu résister à un tel régime ?

— Oui, reprit-il, Dieu m’a soutenu, il m’a donné des forces ! mais si je ne vous avais pas rencontré aujourd’hui, dans quelques heures je serais mort de désespoir, de fatigue et de besoin.

Le jeune homme ouvrit son porte-cigares, choisit un excellent puro et l’alluma.

— Oh ! s’écria l’inconnu avec convoitise, du tabac !

— Est-ce que vous fumez ? lui demanda Pitrians.

— J’ai fumé ; lui répondit l’inconnu en secouant la tête avec tristesse.