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homme sans l’interrompre une seule fois, puis quand celui-ci eut terminé, il laissa tomber sa tête sur sa poitrine et demeura un instant pensif.

Il y eut un assez long silence entre les deux hommes.

Ce fut le duc qui, le premier, le rompit.

— Vous avez raison, mon ami, fit-il tristement ; en effet, ce que vous m’avez rapporté est grave, très-grave même ; ainsi mes ennemis en sont venus à ourdir un complot contre ma vie ; ils veulent m’attaquer dans les cumbres ? C’est vainement que je cherche les motifs d’une telle haine, d’un acharnement si odieux ; mais tant pis pour eux, s’ils me contraignent à me défendre, la lutte entre nous sera terrible.

— Vous ne commettrez pas, je l’espère, M. le duc, l’imprudence de quitter la Vera-Cruz. Ce serait marcher à la mort ; puis vous n’êtes pas seul ; madame la duchesse, votre fille vous accompagnent ; voulez-vous les exposer à être lâchement assassinées ? non, je vous le répète, vous ne quitterez pas cette ville, où vous êtes relativement en sûreté ; si audacieux que soient vos ennemis, ils ne pousseront pas la témérité jusqu’à tenter de vous attaquer dans votre palais.

— Qui sait, ami, s’ils ne le feront pas ? vous êtes jeune, vous êtes croyant, vous n’avez pas assez souffert encore, pour comprendre tout ce que la nature humaine renferme d’infamies ; vous ignorez le caractère espagnol ; en général mes compatriotes sont bons, ils sont doux, même ; le seul défaut qu’on leur puisse justement reprocher est l’orgueil, et encore parfois ce défaut, ils réussissent à l’ennoblir et à en faire une qualité ; mais lorsqu’un Espagnol se croit offensé, que la haine entre dans son cœur, elle n’en sort plus ; comme sa nature méridionale le fait pousser toutes les passions à l’extrême, la mort même de son ennemi souvent ne suffit pas à assouvir cette haine et cette soif de vengeance qui lui corrodent le cœur. J’ai donc tout à redouter de mes ennemis ; cela d’autant plus, je vous le