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du monde, de l’air qu’ils étaient censés déchiffrer et que du reste il était impossible de reconnaître.

Une centaine d’individus drapés dans des guenilles sordides, devant lesquelles Callot se serait pâmé d’aise, étaient réunis là et jouaient, chantaient et buvaient ; le milieu de la salle était rempli par une grande table de forme ovale, recouverte d’un tapis vert, brûlé et taché de graisse en maints endroits, et sur laquelle dix grands chandeliers de fer blanc, contenant de longs cierges de suif jaune étaient solidement vissés ; cette table était entourée de joueurs debout ou assis ; les albures ou partie de monte se succédaient avec une rapidité inouïe ; cependant quoique le jeu parût fort animé et beaucoup intéresser tous les joueurs, on ne voyait que de rares pièces d’argent sur le tapis, et pas une seule pièce d’or ; à droite ou à gauche, de distance en distance, des tables étaient scellées dans le mur et garnies de bancs ; sur lesquels de faméliques buveurs dégustaient toutes espèces de boissons, depuis le Tepache et le Pulque, jusqu’aux vins d’Espagne fabriqués à Mexico, mais qui, grâce à leurs noms pompeux, étaient acceptés comme authentiques. Une vingtaine de candils fumeux posés sur les bras de fers scellés dans le mur, complétaient tant bien que mal l’illumination. Les poutres du plafond disparaissaient presque sous le nuage de fumée exhalé par les cigares et les cigarettes et qui ondulait incessamment comme les flots de la mer.

À droite et à gauche de cette salle, vers le milieu, s’ouvraient deux salles plus petites ; la première était spécialement réservée aux joueurs de loto, gens assez paisibles d’ordinaire ; la seconde à ceux des habitués de la maison, qui pour un motif quelconque désiraient causer sans être interrompus.

On a souvent répété que les Espagnols ont le talent de se draper dans une ficelle, ce mot ironique semblait presque une vérité, quand on considérait attentivement les gens réunis dans cette salle. Rien qu’à voir leurs mines farouches, leurs traits rébarbatifs et les armes