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— C’est étrange, murmura le jeune homme en l’examinant attentivement, je ne t’ai jamais vu ainsi ?

— Ni moi non plus, répondit le flibustier en éclatant d’un gros rire, ressemblant à un sanglot. Diable ! soit de la cendre ! ajouta-t-il, en se frottant les yeux avec fureur ; vrai, cela me fait un mal de chien ! mais voilà que cela commence à passer, fit-il en ramassant d’un air piteux les morceaux de sa pipe ; continue, matelot, c’est intéressant en diable, ce que tu me racontes !

— Je n’ai plus grand’chose à t’apprendre, matelot.

— C’est égal, va toujours, je tiens à tout savoir.

— Puisque tu le veux, je ne demande pas mieux ; l’inconnu dit à la femme du pêcheur de se présenter le 25 de chaque mois de mars, c’est-à-dire tous les ans à pareille époque, chez un riche négociant de Luçon nommé Pierre Langlois ; et que la même somme de cent doubles pistoles lui serait remise ; puis il embrassa l’enfant, en murmurant quelques mots que personne n’entendit, remonta à cheval et partit.

— Les braves pêcheurs le revirent-ils ? demanda Vent-en-Panne.

— Jamais il ne reparut ; tous les ans la femme du pêcheur se présentait au négociant, celui-ci lui remettait l’argent et tout était dit ; l’aisance était rentrée dans la chaumière ; j’étais aimé et choyé par le mari et la femme, comme si j’eusse été réellement leur fils ; ils m’aimaient à cause du bonheur que je leur avais apporté ; cela dura huit ans. Quelques jours avant l’époque fixée pour le voyage de ma mère adoptive à Luçon, elle reçut une lettre de M. Langlois ; celui-ci lui disait de venir au plus vite, qu’il avait à l’entretenir de choses sérieuses ; la brave femme partit aussitôt, elle était assez inquiète ; comme j’étais déjà grand et fort pour mon âge, bien que je n’eusse que huit ans, j’en paraissais dix ; elle m’emmena avec elle. M. Langlois la reçut le sourire sur les lèvres :

— C’est le petit ? demanda-t-il en me prenant le menton.