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blaient, comme à plaisir, venir de tous les coins des bois, voleter au-dessus de sa tête, se poser sur ses épaules, et jusque sur son sein, tandis que les abeilles se jouaient dans sa chevelure, couvraient ses bras et se posaient presque sur ses lèvres. Les animaux même les plus farouches, ceux que leur instinct porte à attaquer l’homme, oubliaient leur férocité à son approche. Ils connaissaient le timbre harmonieux de sa voix, obéissaient avec une docilité, qui jamais ne se démentait, à son moindre geste, à une seule parole. Elle paraissait comprendre leur langage, elle leur parlait ; souvent de longues heures s’écoulaient pendant que, assise sur le gazon, près d’un ruisseau ignoré, entourée de tous ses amis, oiseaux et quadrupèdes, couchés autour d’elle, volant sur sa tête, ou perchés sur les branches d’un arbre voisin, elle causait avec eux, ainsi qu’elle disait avec une naïve conviction.

Puis un peu après le coucher du soleil, la jeune fille reprenait à pas lents, le front rêveur, le chemin de la maison, escortée jusqu’à l’extrémité du couvert, par la foule de ses amis emplumés ou autres, en compagnie desquels elle avait passé tout le jour.

Ainsi s’écoulait la vie de Fleur-de-Mai, solitaire et mystérieuse ; constamment concentrée en elle-même, indifférente à tout ce qui se passait autour d’elle ; semblant ne rien voir, ne rien entendre, ne vivre que par la pensée ; demeurant étrangère à ce monde, qu’elle ne voulait pas connaître, et pour lequel elle éprouvait une répulsion invincible. Ses grands yeux aux regards effarés se fixaient avec lassitude sur ceux qui l’interrogeaient ; puis elle baissait la tête sans répondre ; si parfois elle laissait échapper quelques paroles, c’était une réponse qu’elle se faisait plutôt à soi-même qu’aux personnes qui lui parlaient et ne pouvaient les comprendre. Seuls les tout jeunes enfants partageaient son amour avec les animaux, et trouvaient grâce auprès d’elle ; elle les recherchait, les comblait de caresses, et se plaisait à leur babil enfantin.