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intimes avec ses voisins indiens, il y avait eu entre eux échange de bons procédés et même de services.

L’Œil-Brillant, le chef de la famille, était très-considéré par le boucanier, qu’il avait guéri d’une grave blessure, faite par la défense d’un sanglier.

Danican n’hésita pas ; un soir il se présenta, sa fille adoptive dans les bras, au seuil de l’ajoupa des caraïbes ; en deux mots il leur expliqua, que contraint de prendre la mer peut-être pour longtemps, il ne savait à qui confier son enfant, et qu’il la leur apportait.

— Bon ! répondit l’Œil-Brillant, en prenant dans ses bras et embrassant affectueusement la fillette, alors âgée de quatre ans à peine, la fille de mon frère sera celle de l’Œil-Brillant ; l’ajoupa est grand, il y a place pour elle ; mon frère peut partir le cœur tranquille, quand il reviendra, Fleur-de-Mai lui sera rendue ; les caraïbes sont les frères des longs fusils, les gavachos n’approcheront pas de l’ajoupa.

Ce fut tout.

Le boucanier serra l’enfant sur sa poitrine, l’embrassa les yeux pleins de larmes et partit.

Son absence fut longue.

Il s’engageait pour toutes les expéditions ; chaque fois qu’il revenait à Saint-Domingue, il allait visiter ses amis caraïbes, embrassait avec admiration la fillette, qui se développait avec la rapidité et l’ampleur d’une jeune plante en liberté et devenait délicieusement belle ; puis après quelques heures heureuses passées auprès de cette enfant, qu’il sentait lui devenir de plus en plus chère, il repartait pour courir de nouveaux hasards, affronter de nouveaux dangers.

Il en fut ainsi pendant près de dix ans ; Fleur-de-Mai avait grandi, elle était dans tout l’épanouissement de sa beauté, l’enfant était devenue jeune fille, le bouton était changé en fleur. L’Œil-Brillant vieillissait, sa protection n’était plus assez sérieuse pour une jeune fille de cet âge ; il s’en expliqua avec le boucanier ; celui-ci comprit