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sion anxieusement douloureuse de son visage, les pleurs de la jeune femme, tout le prouvait.

Mais que faire ? comment venir en aide à ces infortunés ? se jeter à la mer ? c’était courir à une mort presque certaine, sans espoir de sauver la pauvre créature.

Le navire touchait presque les rochers ; quelques minutes encore et c’en était fait ?

Soudain un homme d’une taille athlétique, nu jusqu’à la ceinture, s’élança du milieu des groupes effarés écartant tous ceux qui se trouvaient sur son passage.

— Sur ma foi de breton ! s’écria-t-il, il ne sera pas dit que nous aurons laissé ce chérubin du bon Dieu périr, sans essayer de le sauver, et se tournant vers le navire : courage ! me voilà ! cria-t-il d’une voix tellement stridente qu’elle parvint jusqu’aux naufragés.

— Courage ! s’écrièrent tous les assistants, Danican sauvera l’enfant !

Danican, celui qui s’était si spontanément offert pour tenter ce sauvetage presque impossible, passait pour être le meilleur nageur de l’île ; on lui avait vu maintes fois accomplir des prodiges de natation. L’eau semblait être son élément naturel.

Sans perdre un instant, le hardi nageur s’attacha autour de la ceinture l’extrémité d’un longue ligne extrêmement tenue, mais d’une solidité à toute épreuve ; puis après avoir confié l’extrémité de cette ligne aux mains des spectateurs, qui devinant son projet se hâtèrent de la saisir, l’audacieux boucanier fit joyeusement le signe de la croix, s’avança résolument sur la grève, et se laissa emporter par une lame énorme, qui après s’être abattue avec fracas sur le rivage, se retirait avec une vélocité extraordinaire.

Pendant deux ou trois minutes, des siècles, en pareille circonstance, les spectateurs de cette action étrange, le cœur serré par la crainte, les yeux agrandis pas l’inquiétude, essayèrent d’apercevoir le téméraire boucanier ; il semblait avoir disparu pour toujours ; mais bientôt ils virent sa tête pâle surgir au milieu de la nappe d’écume ;