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L’Olonnais était tout joyeux.

— Eh ! matelot ! lui dit en ricanant Vent-en-Panne, tu te plaignais de manquer d’habits pour te rendre à l’invitation du duc de la Torre, voilà ton affaire. Ainsi vêtu, le diable m’emporte ! tu reluiras dans les salons comme un crabe sur le sable. Ce sera magnifique !

— Tu plaisantes, matelot, tu as tort. J’étais inquiet il y a un instant parce que ces vêtements n’arrivaient point. Ce sont eux en effet que je mettrai pour me rendre chez le duc. Je ne suis pas un muguet, moi, ni un coureur de ruelles ; je serais ridicule avec vos flamboyants habits à paillettes qui n’ont pas été faits pour moi et prêteraient à rire à mes dépens. Je suis un franc marin ; toute ma vie s’est passée sur mer ; j’ai été bercé par la tempête, ma peau s’est gercée et tannée aux caresses incessantes de l’eau salée, mon teint s’est bruni au souffle violent du vent du nord, la terre n’est pour moi qu’un accident ; j’ignore ses usages et ne veux pas les connaître. De plus j’ai l’honneur d’être Frère de la Côte. Quel plus bel uniforme pour se rendre chez un Espagnol que celui de boucanier ! et contraindre ce Castillan hautain, ce vice-roi du Pérou, cet homme, presque un souverain, qui commande à des millions d’hommes, à s’incliner avec respect devant l’un des membres de cette association puissante dont le nom seul glace de terreur tous ses compatriotes et cause de si terribles insomnies à son maître le roi d’Espagne et des Indes ! Je te remercie, matelot, de l’offre que tu m’avais faite, mais je ne puis l’accepter. Voilà le seul vêtement qui me convienne, ajouta-t-il en le dépliant, et le seul que je porterai ce soir et toujours.

— Bravo ! s’écrièrent les boucaniers avec enthousiasme.

— Je ne sais, le diable m’emporte ! où ce démon-là va chercher tout ce qu’il dit, fit Vent-en-Panne avec un sourire joyeux. Cordieu ! matelot ! tu m’as réellement gagné le cœur. Plus je te connais, plus je t’aime.

— Alors nous nous comprenons bien, matelot, répar-