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pistolets, quelques vêtements et tout l’or qu’il possédait ; le crime commis, le comte avait l’intention de fuir.

Cela ne lui semblait pas difficile : le navire était à peu de distance des côtes de Cuba ; rien ne lui était, croyait-il, plus facile que d’affaler doucement le canot à la mer, de profiter des ténèbres, pour s’éloigner et même d’atterrir, avant qu’on eût songé à le poursuivre.

Le moment qui lui parut le plus opportun, fut celui où l’on changeait le quart ; il règne alors sur un navire un certain désordre temporaire, qui lui sembla devoir favoriser la réussite de sa sinistre entreprise.

En conséquence, au moment où le timonier piqua quatre heures, le comte laissa filer un peu les palans qui retenaient le canot, afin de le mettre juste au niveau des fenêtres ; puis il passa son poignard à sa ceinture, prit sa hache, et essaya d’ouvrir la fenêtre la plus rapprochée de lui.

Seulement le comte avait oublié une chose, et ne se doutait pas d’une seconde. La première c’est qu’une semaine auparavant, le duc de la Torre avait fait solidement condamner ses fenêtres à l’intérieur ; la seconde, c’est qu’il avait un gardien, Pitrians, qui ne le perdait pas une minute de vue.

Celui-ci comprit aussitôt l’intention du comte. Sans perdre un instant, il courut éveiller le capitaine, lui dit en deux mots ce qui se passait. Le capitaine, sans prendre le temps de se vêtir, donna un poignard à Pitrians, en prit un pour lui-même, et tous deux s’élancèrent en appelant au secours ! Au moment même où ils enfonçaient la porte, la fenêtre volait en éclats et le comte bondissait dans la chambre. Ce bruit effroyable avait éveillé en sursaut le duc ; il ouvrit juste la porte de sa chambre à coucher, pour recevoir dans ses bras sa fille presque folle de terreur. Le comte, aveuglé par la rage, en voyant son projet avorter, s’était précipité sur le capitaine, et lui avait fendu la tête d’un coup de hache ; puis il avait voulu s’élancer sur le duc, qui l’attendait