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lui intima d’un geste l’ordre de se retirer, et lui tourna le dos, sans attendre la réponse.

D’ailleurs le comte Horace n’essaya pas de répondre ; cela lui aurait été impossible, il était réellement foudroyé. La honte, la fureur, la haine, grondaient dans son sein, et le rendaient incapable même de penser. Il crut un instant qu’il allait mourir ; il était livide ; de grosses gouttes de sueur perlaient à ses tempes ; le sang refoulé avec violence lui troublait la vue ; il avait des bruissements dans les oreilles ; ses artères battaient à se rompre ; il chancelait comme un homme ivre, en jetant autour de lui des regards désespérés.

L’Olonnais eut pitié d’une si affreuse douleur, et s’avança vivement vers le comte pour lui porter secours. Mais celui-ci le repoussa rudement et, après lui avoir lancé un regard tout chargé de haine et de menace en murmurant quelques paroles inintelligibles, il se dirigea en s’appuyant sur tous les objets qui se trouvaient à portée de sa main, vers le canot dont il avait fait depuis quelques jours son refuge ordinaire. Arrivé là, il tomba plutôt qu’il ne s’assit dans le fond de l’embarcation, et demeura pendant plusieurs heures, plongé dans un état complet de prostration.

Les matelots en ce moment présents sur le pont, avaient assisté à cette scène avec un étonnement mêlé de dégoût. Le comte était généralement haï ; probablement la plupart des témoins des souffrances de l’ancien officier, se réjouirent intérieurement de l’humiliation terrible et méritée qui venait de lui être infligée.

Le comte ne voulut plus reparaître sur le pont ; il demeura seul et silencieux dans le canot, comme un tigre dans son repaire ; roulant dans son cerveau en feu, les plus sinistres projets de vengeance.

L’Olonnais n’avait qu’une confiance très-médiocre dans le comte ; il le croyait capable de se porter aux extrémités les plus terribles. Aussi, malgré son apparente résignation, il résolut de ne le perdre de vue, que le moins possible.