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Ces deux hommes se connaissaient de longue date ; ils se méprisaient et se haïssaient mortellement ; c’était entre eux, à la vérité, une guerre à armes courtoises ; mais sourde, implacable, acharnée, quoique silencieuse ; et cela, en conservant continuellement le sourire sur les lèvres. Naturellement le duc de la Torre, qui n’avait et ne pouvait avoir aucun soupçon de la mésintelligence secrète de ces deux hommes, fut ravi de rencontrer sur ce bâtiment, dont il avait d’abord si fort redouté le séjour, un gentilhomme de sa caste et presque de son rang ; de manières exquises, avec lequel il pourrait entretenir des relations agréables pendant le cours du voyage, et qui formerait une société à sa famille ; en l’aidant à supporter patiemment les ennuis inséparables d’une longue traversée. Il accueillit donc le comte Horace de la façon la plus gracieuse ; bientôt celui-ci dont le plan était dressé à l’avance, sut si bien se rendre indispensable au duc de la Torre, que le noble castillan le prit en grande estime, et qu’il réussit ainsi à s’introduire dans son intimité.

L’amour rend clairvoyant. L’Olonnais ne tarda pas à s’apercevoir du manège de son supérieur. Il remarqua avec une douleur secrète que les assiduités du comte, étaient acceptées avec une certaine amabilité par les dames ; mais il reprit bientôt courage ; car il lui fut facile de constater que mademoiselle de la Torre semblait éprouver une répulsion instinctive pour cet homme, auquel en toutes circonstances, elle témoignait une extrême froideur.

Malheureusement pour l’Olonnais, la position inférieure qu’il occupait à bord, ne lui permettait en aucune façon de servir les passagères ; ni même de les avertir de se tenir en garde, contre les assiduités du comte Horace.

Celui-ci était son supérieur immédiat ; il ne pouvait rien contre lui ; de plus, à cette époque, le code maritime était d’une sévérité, ou plutôt d’une cruauté telle, que bien rarement, on avait à appliquer ses lois draconiennes.