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sérieux ; il doubla le pas, et au lieu d’entrer au cabaret, ce que n’aurait pas manqué de faire tout autre matelot dans sa position, il sortit de la ville et alla sur la route de Paris s’embusquer au milieu d’un épais taillis, dans lequel il disparut.

Il était à peu près six heures du soir, dans les premiers jours du mois de mai, c’est-à dire presque à l’époque des plus longs jours de l’année.

— Là, murmura-t-il en s’accommodant le moins mal possible dans sa cachette, je suis certain de la voir ; attendons !

L’attente fut longue, mais l’Olonnais était patient ; il demeurait assis, l’oreille tendue, ne bougeant pas plus qu’un fakir indien, surveillant les rares passants qui entraient dans la ville ou en sortaient.

Depuis une heure environ, il était embusqué dans sa singulière cachette, lorsqu’il lui sembla entendre un bruit de grelots, un roulement de voiture sur le cailloutis pointu de la route, et le pas pressé de plusieurs chevaux.

Il redoubla d’attention.

— Cette fois, je ne me trompe pas ; murmura-t-il avec une émotion contenue, en appuyant fortement la main sur son cœur comme pour en modérer les battements.

En effet, quelques minutes plus tard, une lourde voiture attelée de cinq chevaux, passa rapidement devant l’endroit où se tenait le matelot ; celui-ci se pencha vivement, une expression d’ineffable bonheur se peignit sur son visage, et il murmura avec un accent impossible à rendre :

— C’est elle ! qu’elle est belle, mon Dieu !… Soudain il pâlit, baissa la tête avec découragement et deux larmes tombèrent de ses yeux. Hélas ! reprit-il, quelle fatalité m’a jeté, moi, misérable, sur les pas de cette femme ! comment osai-je aimer cette séduisante créature ! Que suis-je ! pour elle si riche, si belle, si noble ?… moi, pauvre enfant trouvé, qui n’ai pas même de nom !… Allons, je suis fou ! existerai-je jamais à ses yeux ? dai-