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Le comte, sombre et triste, regardait ces pauvres gens avec une expression de pitié indicible.

Soudain il partit d’un éclat de rire fébrile, et s’approchant de son cheval, qui jusque là, par un espèce de miracle, avait échappé au désastre, il le sella en le flattant doucement de la main et en chantonnant entre ses dents un de ces airs qui ne seront jamais notés.

Ses compagnons le considéraient avec un sentiment de vague terreur dont ils ne pouvaient se rendre compte : si misérables qu’ils fussent dans leur esprit, leur capitaine représentait toujours l’intelligence supérieure et la volonté ferme, ces deux forces qui ont tant de pouvoir sur les natures abruptes, même lorsque les circonstances les ont contraints de les nier. Dans leur misérable état ils se groupaient autour de leur chef comme les enfants se réfugient dans le sein de leurs mères ; il les avait toujours consolés, leur donnant l’exemple du courage et de l’abnégation ; aussi, lorsqu’ils le virent agir comme il le faisait, eurent-ils le pressentiment d’un malheur.

Lorsque son cheval fut sellé, le comte se mit légèrement sur son dos, et pendant quelques minutes il fit caracoler la pauvre bête, qui avait une peine inouïe à se tenir sur ses jambes tremblantes.

— Holà ! mes braves ! cria-t-il tout à coup, accourez ! accourez ! venez écouter un bon conseil, un dernier avis que je veux vous donner avant de partir.

Les soldats se traînèrent comme ils le purent et l’entourèrent.