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toire en poussant d’un vigoureux coup de pied la pirogue au large.

Ils partirent.

Les premiers instants du voyage furent silencieux ; chacun réfléchissait à part soi à la position étrange dans laquelle il était placé.

Don Martial avait assumé une immense responsabilité, en jouant pour ainsi dire sur un coup de dés le bonheur de celle qu’il aimait et le sien, et puis, plus que tout, l’haciendero, étendu au fond de la barque, lui donnait à réfléchir ; la position était grave, la solution difficile.

Doña Anita, la tête basse, le regard distrait, laissait toute songeuse sa main mignonne tremper dans l’eau qui passait rapidement le long de la pirogue.

Cucharès, tout en pagayant avec fureur, pensait que la vie qu’il menait n’avait rien que de fort désagréable, et qu’à Guaymas il était beaucoup plus heureux, lorsque la tête à l’ombre et les pieds au soleil, étendu sous le porche de l’église, il faisait nonchalamment la sieste, rafraîchi par la brise de mer et doucement bercé par le mystérieux murmure de la houle sur les galets.

Quant à don Sylva de Torrès, lui, il ne réfléchissait pas ; en proie à une de ces rages sourdes qui, si elles se continuaient longtemps, aboutiraient pour ceux qui les subissent tout droit à la folie, il mordait avec frénésie le bâillon qui lui fermait la bouche et se tordait dans ses liens sans pouvoir les rompre.

Les bruits divers du combat s’affaiblirent peu à peu et finirent par cesser complètement.