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Gros-Bison n’est-il pas convenu d’un signal avec son ami, afin de le rejoindre quand il lui plaira ?

— En effet.

— Quel est ce signal ?

À cette question, une idée singulière traversa le cerveau de Cucharès. Les leperos appartiennent à une race étrange qui n’a d’analogie dans le monde qu’avec les lazzaroni de Naples : prodigues et avares à la fois, cupides et désintéressés, d’une témérité extrême et d’une lâcheté sans bornes, ces hommes sont le composé le plus bizarre et le plus étrange qui se puisse imaginer de tout ce qui est bon et de tout ce qui est mauvais ; chez eux tout est heurté, tronqué, imparfait ; rien ne se fait que par bonds sous l’impression du moment, sans réflexion comme sans passion ; railleurs éternels, ils ne croient à rien et ils croient à tout ; pour les résumer en un mot, leur vie n’est qu’une antithèse continuelle, et pour une gaminerie qui peut leur coûter la vie, ils sacrifieront de gaieté de cœur leur ami le plus dévoué, de même qu’ils le sauveront.

Cucharès personnifiait complètement cette race excentrique des leperos. Bien que le poignard du chef apache fût à deux pouces de sa poitrine, et qu’il sût pertinemment que son féroce ennemi ne lui ferait pas grâce, il se résolut tout à coup à lui jouer un tour, et à lui servir, coûte que coûte, un plat de son métier. Nous n’ajouterons pas que peut-être son amitié pour don Martial plaidait à son insu pour lui dans son cœur, nous le répétons, le lepero n’a d’amitié pour personne, pas même pour lui, son cœur n’existe qu’à l’état de viscère.

— Le chef veut connaître ce signal ? dit-il.