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gaiement son alfalfa ; le comte lui donna une mesure d’avoine qu’il lui vit broyer avec de petits hennissements de plaisir ; ensuite il lui mit la selle.

Au Mexique surtout, les cavaliers, quelle que soit la classe de la société à laquelle ils appartiennent, ne laissent jamais à d’autres qu’eux le soin de panser leur monture ; car dans ces contrées à demi sauvages encore, presque toujours le salut du cavalier dépend de la vigueur et de la vitesse de son cheval.

La porte du meson n’était que poussée, afin que les voyageurs pussent s’en aller quand bon leur semblerait, sans déranger personne ; le comte alluma son cigare, se mit en selle et prit au grand trot la toute de Guaymas au Rancho.

Rien n’est aussi agréable qu’un voyage de nuit au Mexique. La terre, rafraîchie par la brise nocturne et arrosée par l’abondante rosée, exhale des senteurs âcres et parfumées dont les émanations bienfaisantes rendent au corps toute sa vigueur et à l’esprit sa lucidité.

La lune, sur le point de disparaître, déversait à profusion ses rayons obliques qui allongeaient démesurément l’ombre des arbres épars çà et là sur le chemin et les faisait, dans les ténèbres, ressembler à une légion de spectres décharnés.

Le ciel, d’un bleu sombre, était plaqué d’un nombre infini d’étoiles brillantes, au milieu desquelles scintillait l’éblouissante Croix du Sud, à laquelle les Indiens ont donné le nom de Poron Chayké. Le vent soufflait doucement au travers des branches dans lesquelles la hulotte bleue faisait entendre par intervalles les notes mélodieuses de son chant mélancolique, auquel se mêlait parfois, dans les profondeurs