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LA FIÈVRE D’OR.

que les autres. Mais don Cornelio était philosophe, et, de plus, fort curieux. Certain que tout finirait tôt ou tard par s’expliquer à la satisfaction générale, il prit gaîment son parti, il ne songea même pas à demander des renseignements, d’autant plus que les deux aides que le hasard lui envoyait ne laissaient pas que de lui être fort utiles pour la conduite des animaux indisciplinés dont le comte et lui s’étaient chargés et qu’ils devaient encore mener si loin.

Il faut avoir fait soi-même le rude métier de vaquero dans les grandes savanes américaines pour se faire une idée des difficultés sans nombre que l’on rencontre à guider, pendant des centaines de lieues à travers des forêts vierges et des plaines arides et sablonneuses, des novillos et des taureaux indomptés, de les défendre contre les bêtes fauves qui les suivent à la piste et les happent jusque sous vos yeux si vous n’y prenez garde, et comme le lion rugissant de l’Évangile, errant sans cesse autour du troupeau en quête d’une proie à dévorer. D’autres fois c’est contre la folie furieuse, ou estampide, causé par le manque d’eau et la réverbération du soleil qu’il faut défendre les bestiaux pris soudain de vertige, courant à l’aventure dans tous les sens, bramant, mugissant et frappant de leurs cornes ceux qui les veulent ramener.

Il fallait être un homme désespéré comme don Luis ou un philosophe insouciant comme don Cornelio, pour ne pas avoir reculé devant tous les périls et toutes les difficultés d’un métier si hasardeux ; car dans les éventualités que nous avons énumérées, nous n’avons pas parlé des temporales