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LA FIÈVRE D’OR.

prodigieuses, je vis surgir et tomber tout à coup les plus scandaleuses fortunes, et me plongeant alors résolûment dans ce gouffre, je demandai, moi aussi, au hasard ma part de joies fiévreuses et d’émotions enivrantes ; mais la foi me manquait, rien ne me réussit. J’essayai tous les métiers, toujours poursuivi par cette fatalité implacable acharnée après moi ; je ne parvins à grand’peine qu’à ne pas mourir tout à fait de faim ; tour à tour chasseur, porte-faix, que sais-je encore, mes efforts n’aboutirent à rien dans cette Babel, où se coudoyaient incessamment les damnés de la civilisation, qui tous, marqués du sceau indélébile des réprouvés du Dante, entassaient ruines sur ruines pour se faire un piédestal de lingots immédiatement renversé par d’autres. Dégoûté de cette vie mêlée de sang, de boue, d’oripeaux et d’or, je partis en désespoir de cause, résolu à me faire conducteur de bestiaux : noble métier, n’est-ce pas, pour un comte de Prébois, dont les aïeux ont fait trois croisades, ajouta-t-il avec un rire amer ; mais j’ai connu des généraux décrotteurs, des marquis garçons de café ; je pouvais donc sans trop déroger, moi qui n’ai jamais rien été, devenir marchand de bestiaux. Et puis, j’avais un autre but en choisissant cette profession. Depuis mon arrivée dans l’Amérique septentrionale, je te cherchais : j’espérais te retrouver enfin. Pour la première fois, le hasard m’a souri, tu le vois, puis, que je suis parvenu à te rencontrer. Voilà tout ce que j’avais à te dire. Maintenant, tu sais de ma vie autant que moi-même, ne me demande rien davantage.

Après ces paroles, prononcées d’une voix brève et saccadée, le comte se renversa sur le dossier de