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L’ÉCLAIREUR.

Le vieux Canadien leva la tête, et sembla, pendant quelques instants, calculer la hauteur du soleil.

— Il est six heures et demie du matin, dit-il, vous avez encore devant vous plus du temps qu’il ne vous en faut pour vous rendre au gué del Rubio, où doit vous attendre celui auquel vous vous êtes engagé à servir de guide ; écoutez-moi donc, car je n’ai pas fini tout à fait ; maintenant que je vous ai rapporté le mystère, je vais vous dire quels sont les renseignements qui sont venus l’éclaircir.

— Parlez, répondit Bon-Affût, du ton d’un homme qui se résout à écouter par condescendance un récit qu’il sait ne pas devoir l’intéresser.

Balle-Franche, sans paraître remarquer l’apathique complaisance de son ami, reprit la parole en ces termes :

— Vous avez vu que tout avait été prévu par don Torribio avec une prudence qui devait éloigner tous soupçons et couvrir cette aventure d’un voile impénétrable ; malheureusement, l’evangelista Leporello n’avait pas été tué roide : il put non-seulement parler, mais encore montrer un double de chacune des lettres qu’il remettait tous les jours au jeune homme, lettres que celui-ci lui payait si cher et que, par cette prudence innée dans la race mexicaine, il avait précieusement gardées pour s’en faire un arme au besoin contre don Torribio, ou, ce qui est plus probable encore, pour se venger au cas où il serait victime d’une trahison. Ce fut ce qui arriva : l’evangelista, trouvé agonisant par un client matinal, eut la force de faire une déclaration en règle au juez de lettras[1] et de lui remettre les papiers, puis il mourut. Cet assassinat, rapproché de l’enlèvement des serenos par une troupe nombreuse et de l’envahissement du couvent des Bernardines, donna une piste que la police commença à suivre avec une ténacité

  1. Juge criminel.