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L’ÉCLAIREUR.

Sa voix s’affaiblissait de plus en plus, son regard devenait vitreux, la vie se retirait à grands pas.

— Pardonnez-lui ; maintenant il est mort, il ne pourra plus nuire.

— Dieu soit loué ! j’ai enfin écrasé la vipère ! Adieu, Bon-Affût, mon vieux camarade ! Nous ne chasserons plus les daims et les bisons ensemble dans la prairie ; nous ne pousserons plus notre cri de guerre contre les Apaches… Où est l’Aigle-Volant ?

— Il est à la poursuite des Peaux-Rouges.

— Oh ! c’est un brave cœur ; il était bien jeune quand je l’ai connu, c’était en 1845 ; je me rappelle que je revenais de…

Il s’arrêta. Bon-Affût, qui s’était penché le plus près possible de lui, afin d’entendre les paroles qu’il prononçait d’une voix de plus en plus faible, le regarda. Il était mort.

Le digne chasseur avait rendu son âme à Dieu, sans éprouver les cruelles angoisses de la mort. Son ami lui ferma pieusement les yeux, s’agenouilla près de lui, et, inclinant son front pâle, Il pria avec ferveur pour son vieux compagnon.

Cependant don Mariano était toujours dans le même état d’insensibilité apparente. Les deux gens lui tenaient chacun une main et interrogeaient son pouls avec inquiétude. Les deux vieux domestiques du gentilhomme pleuraient silencieusement réfugiés dans un angle de la pièce.

Tout à coup don Mariano poussa un profond soupir, une vive rougeur colora son visage, ses yeux s’ouvrirent, pendant quelques secondes il sembla chercher à rappeler ses idées troublées par les approches de l’agonie. Enfin il fit un effort suprême, se dressa à demi sur sa couche, et regardant tour à tour, avec une expression de bonté ineffable, les deux jeunes gens qui étaient tombés agenouillés, il ramena leurs mains vers lui et les réunit sur son cœur.