Page:Aimard - L’Éclaireur, 1860.djvu/449

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
439
L’ÉCLAIREUR.

Les sentinelles étaient Apaches ; au mot d’eau de feu, leurs yeux brillèrent de convoitise. Bon-Affût leur versa alors environ une pleine calebasse d’eau-de-vie mélangée d’opium à forte dose qu’ils avalèrent d’un seul trait avec des marques non équivoques de plaisir. Le grand-prêtre seul parut hésiter un instant ; puis il se décida, et vida résolument la coupe, au grand soulagement des chasseurs que son hésitation commençait à inquiéter.

— Maintenant, s’écria le Canadien d’une voix rude, à genoux tous !

Les Apaches obéirent. Don Miguel les imita.

Seul Bon-Affût resta debout, pendant que don Miguel, le bras étendu vers le nord, semblait commander au méchant esprit de se retirer ; le Canadien se mit à tourner rapidement sur lui-même en murmurant des paroles incohérentes que l’aventurier répétait après lui. Puis don Miguel se releva et fit une évocation.

Vingt minutes s’étaient écoulées. Pendant cet intervalle de temps, un Indien s’était laissé aller la face contre terre, comme s’il se prosternait par humilité. Bientôt un autre fit de même, puis un autre, puis un autre encore, et enfin le grand-prêtre tomba à son tour. Les cinq Indiens ne donnaient plus signe de vie.

Bon-Affût, par acquit de conscience, fit légèrement sentir la pointe de son poignard à celui qui était le plus rapproché de lui. Le pauvre diable ne bougea pas : l’opium avait produit sur lui et sur ses compagnons un tel effet qu’on aurait pu les déchiqueter sans qu’ils se réveillassent.

Don Miguel se tourna alors vers les jeunes filles qui attendaient, avec une perplexité toujours croissante, le dénoûment de cette scène.

— Fuyons ! dit-il, il y va de votre vie !

Il saisit alors doña Laura dans ses bras, l’enleva sur son épaule, prit un pistolet de la main gauche et descendit en