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L’ÉCLAIREUR.

— Je ne le veux pas.

— C’est le dernier mot de mon père ?

— Mon dernier mot.

— Eh bien, meurs comme un chien que tu es ! s’écria le Peau-Rouge avec rage en se précipitant, le couteau levé sur le chasseur.

Celui-ci, depuis quelques instants, suivait d’un œil attentif tous les mouvements du chef. Connaissant à fond le caractère fourbe et traître des Apaches, en voyant le Loup-Rouge prendre des manière félines et affecter un ton patelin, il prévoyait parfaitement ce que celui-ci méditait et quel était le dénoûment qu’il prétendait donner à cette scène ; cependant, malgré cela, il ne fit pas un geste pour éviter le coup qui lui était destiné ; il regarda son assassin bien en face, les bras croisés sur la poitrine, la tête haute et le visage impassible.

Cependant le bras levé contre le chasseur ne se baissa pas ; un homme sortit tout à coup de l’ombre qui le cachait, apparut derrière le Loup-Rouge, lui saisit vivement la bras, le lui tordit avec une force peu commune, l’obligea à lâcher le couteau, et disparut si prestement que le chef atterré n’eut même pas le temps de reconnaître s’il avait eu affaire à un homme ou à un esprit.

Le Loup-Rouge ne jeta pas un cri, ne chercha pas à se venger ; mais ses traits se décomposèrent, ses yeux roulèrent égarés dans leurs orbites ; un mouvement convulsif agita tout à coup son corps, et il tomba agenouillé sur le sol, en murmurant avec épouvante :

— Pardon ! pardon ! mon père !

Le chasseur recula d’un pas, comme pour éviter le contact immonde du misérable prosterné devant lui, et poussant le couteau du pied avec dégoût :

— Ramasse ton arme, assassin ! lui dit-il d’un ton de mépris suprême.