Page:Aimard - L’Éclaireur, 1860.djvu/241

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
231
L’ÉCLAIREUR.

moins mêlées, suivant que vous comprendrez mes paroles. N’allez pas croire, par ce qui précède, que je me livrais à quelques opérations criminelles, vous commettriez une grave erreur : seulement, de même que bon nombre de nos compatriotes, je faisais certains commerces interlopes, peut-être vus d’un mauvais œil par les préposés du gouvernement, mais qui, pour cela, n’ont rien de fort repréhensible en eux.

Bon-Affût et don Mariano échangèrent un regard : ils avaient compris ou cru comprendre.

Don Leo de Torrès feignit de ne pas apercevoir ce regard.

— Un des lieux que je fréquentais le plus assidûment, dit-il, était la plaça Mayor ; là, je visitais un évangélista, vieillard d’une cinquantaine d’années, doublé de juif et de lombard, qui, sous une apparence vénérable, cachait l’âme la plus vénale et le cœur le plus corrompu ; ce coquin émérite, dans l’intérêt des mille commerces occultes auxquels il se livrait, et à cause de ses fonctions d’évangélista, connaissait à fond les secrets d’un nombre infini de familles et était au courant de toutes les infamies qui se commettent tous les jours dans cette immense capitale. Un jour que par hasard je me trouvais chez lui à l’oracion, une jeune fille entra ; cette jeune fille était belle, paraissait honnête ; elle tremblait comme la feuille en mettant le pied dans l’antre du misérable ; celui-ci lui fit son plus charmant sourire et lui demanda obséquieusement à quoi il pouvait lui servir : elle lança un regard timide autour d’elle et m’aperçut. Je ne sais pourquoi j’avais flairé un mystère ; la tête sur la table, le front posé sur mes deux mains croisées, je feignais de dormir. — Cet homme ? fit-elle en me désignant. — Oh ! répondit l’évangélista, il est ivre de pulque ; c’est un pauvre sous-officier sans importance ; d’ailleurs, il dort. — Elle hésita ; puis, semblant prendre tout à coup sa résolu-