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L’ÉCLAIREUR.

naissance fut de lancer vers le ciel un regard de défi et tendant la main à Balle-Franche :

— Merci, lui dit-il.

Le chasseur se recula sans toucher la main qu’on lui offrait.

— Ce n’est pas moi qu’il faut remercier, dit-il.

— Qui donc ?

— Dieu !

Don Estevan plissa ses lèvres pâles avec dédain ; mais comprenant bientôt qu’il fallait tromper son sauveur s’il voulait qu’il lui continuât la protection dont en ce moment il ne pouvait encore se passer :

— C’est vrai, dit-il avec une feinte douceur, Dieu d’abord, vous ensuite.

— Moi, repartit Balle-Franche, j’ai accompli un devoir, payé une dette ; maintenant nous sommes quittes. Vous m’avez, il y a dix ans, rendu un important service : aujourd’hui je vous sauve la vie ; c’est un prêté pour un rendu ; je vous dispense de toute reconnaissance, comme vous devez, de votre côté, m’en dispenser ; à compter de cette heure nous ne nous connaissons plus, nos voies sont différentes.

— Allez-vous donc m’abandonner ainsi ? fit-il avec un mouvement d’effroi dont il ne fut pas le maître.

— Que puis-je faire de plus ?

— Tout.

— Je ne vous comprends pas.

— Mieux valait me laisser mourir dans la fosse ou vous-même avez aidé à me descendre, que me sauver pour me condamner à mourir de faim dans ce désert, à devenir la proie des bêtes fauves ou à tomber entre les mains des Indiens. Vous le savez, Balle-Franche, dans la Prairie, un homme désarmé est un homme mort ; vous ne me sauvez pas cd ce moment, vous rendez mon agonie plus longue et