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L’ÉCLAIREUR.

Et il pressa la détente,

Soudain une main se posa sur son bras, la balle se perdit dans l’air et une voix sévère et douce à la fois répondît :

— Dieu vous a entendu, il vous pardonne !

Le misérable tourna la tête avec égarement, regarda d’un air épouvanté l’homme qui lui parlait ainsi ; et, trop faible pour résister à l’émotion terrible qui l’agitait, il poussa un cri ressemblant à un sanglot, et s’évanouit.

L’homme qui était arrivé si à propos pour don Estevan à son secours était Balle-Franche ; le lecteur l’a sans doute deviné déjà.

— Hum ! fit-il en secouant la tête, il était temps que j’intervinsse.

Alors, sans perdre un instant, le digne homme s’occupa à sortir de la tombe dans laquelle on l’avait bouclé tout vivant, celui qu’il voulait sauver. C’était une rude besogne, surtout privé comme il l’était des outils nécessaires.

Les gambucinos avaient travaillé en conscience et comblé la fosse de façon à ce que l’homme qu’ils enterraient fut solidement accoré de tous les côtés à la fois.

Balle-Franche était obligé de creuser avec son couteau, en usant des plus grandes précautions pour ne pas blesser don Estevan. Parfois le chasseur s’arrêtait, essuyait son front ruisselant de sueur, regardait le visage pâle du Mexicain toujours évanoui ; puis, après quelques secondes de cette contemplation muette, il hochait sententieusement la tête deux ou trois fois, et se remettait au travail avec une nouvelle ardeur.

C’était un étrange spectacle que ce groupe formé par ces deux hommes dans ce désert, entouré de profondes ténèbres ; certes, s’il eût été donné à un indiscret de voir ce qui se passait en ce moment dans cette clairière perdue au milieu d’une forêt vierge, peuplée de bêtes fauves dont les sourds rauquements s’élevaient par intervalles dans le