Page:Aimard - L’Éclaireur, 1860.djvu/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
208
L’ÉCLAIREUR.

Bon-Affût s’approcha de lui.

— Vous allez être descendu dans la fosse, lui dit-il ; avez-vous quelque disposition à prendre ?

— C’est donc vrai cet horrible supplice ! dit-il avec égarement.

— C’est vrai.

— Mais alors vous êtes des bêtes féroces.

— Nous sommes vos juges.

— Oh ! laissez-moi vivre, ne serait-ce qu’un jour.

— Vous êtes condamné.

— Malédiction sur vous, démons à face humaine ! Assassins ! de quel droit me tuez-vous ?

— Du droit qu’a tout homme d’écraser un serpent ; pour la dernière fois, avez-vous des dispositions à prendre ?

Don Estevan, brisé par cette effroyable lutte, garda un instant le silence : puis deux larmes tombèrent lentement de ses yeux brûlés de fièvre, et il murmura d’une voix douce, presque enfantine :

— Oh ! mes fils, mes pauvres chéris, que deviendrez-vous lorsque je ne serai plus là !

— Finissons-en, reprit le chasseur.

Don Estevan fixa sur lui son œil hagard.

— J’ai deux fils, dit-il, parlant comme dans un rêve ; ils n’ont que moi, moi seul, hélas ! et je vais mourir ! Écoutez, si vous n’êtes pas tout à fait une bête fauve, jurez-moi d’accomplir ce que je vais vous demander ?

Le chasseur se sentit malgré lui ému par cette douleur poignante.

— Je vous le jure, dit-il.

Le condamné parut rassembler ses idées.

— Du papier et un crayon, fit-il d’une voix brisée.

Bon-Affût avait encore le portefeuille qui lui avait été enlevé ; il déchira un feuillet et le lui remit avec le crayon.