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L’ÉCLAIREUR.

tés d’entendre une semblable théorie : ils se demandaient tout bas, avec cette naïve crédulité d’hommes à demi sauvages, si l’individu qu’ils avaient devant eux et qui parlait ainsi était réellement leur semblable, ou si plutôt l’esprit du mal n’avait pas pris cette enveloppe pour les tromper.

— Comprenez-moi bien, cabellero, reprit don Estevan dont la voix se raffermissait de plus en plus : la supérieure des bénédictines est ma parente, cette femme a pour moi une affection sans bornes ; lorsque je lui eus laissé entrevoir mes projets de fortune, elle m’engagea à y persévérer, m’assurant qu’elle connaissait un moyen infaillible de faire réussir ces projets ; je crus d’autant plus facilement à ses paroles, que pour moi ce moyen était des plus faciles et consistait simplement à obliger ma nièce à prendre le voile et à se faire religieuse ; je ne voyais pas plus loin, je vous le jure. Pauvre chère fille, je l’aimais trop pour désirer sa mort ! Tout marcha au gré de mes désirs, sans que je me mélasse de rien absolument ; ma belle-sœur mourut ; cette mort me parut toute naturelle, après les chagrins sans nombre qui l’avaient accablée. On m’accuse de l’avoir empoisonnée, c’est faux ; peut-être l’a-t-elle été, je ne soutiendrais pas le contraire ; mais, dans ce cas il faudrait accuser de ce crime ma parente, dont le but était évidemment de rapprocher de moi cette fortune que je convoitais. J’écrivis aussitôt à mon frère pour lui annoncer cette mort qui me peina réellement ; il ne reçut pas ma lettre ; je ne vois rien d’étonnant à cela, d’autant plus qu’il ne faisait pour ainsi dire que passer dans les villes où le menait son caprice. Souvent j’allais au couvent des bénédictines visiter ma nièce ; elle me paraissait assez décidée à prendre le voile ; la supérieure, de son côté, me répétait sans cesse de ne m’inquiéter de rien : je laissais donc aller les choses sans m’en occuper. Le jour où ma nièce devait prononcer ses vœux, j’allai au couvent : alors il se passa