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L’ÉCLAIREUR.

affaire, c’est Dieu qui m’envoie ce gaillard-là pour me tirer d’embarras, qu’il soit le bienvenu.

À une vingtaine de pas au plus du chasseur, couché sur la maîtresse branche d’un mezquite énorme, un magnifique jaguar fixait sur lui des regards flamboyants, en passant par intervalle une de ses pattes de devant derrière ses oreilles avec ces minauderies et ces ronrons particuliers à la race féline. Cette bête fauve, probablement effrayée par l’ouragan de la nuit, n’avait pu encore regagner sa tanière vers laquelle elle se dirigeait, lorsque sur son chemin elle avait rencontré les deux hommes.

Le jaguar ou tigre d’Amérique, loin d’attaquer l’homme, évite avec soin sa rencontre, ce n’est que poussé et contraint qu’il accepte le combat, mais alors il devient terrible et une lutte avec lui est souvent mortelle, à moins que son antagoniste soit aguerri et au courant des nombreuses ruses qu’il emploie pour s’assurer la victoire.

À l’instant où le tigre apercevait le chasseur, celui-ci l’avait vu, le combat était donc imminent. Les deux ennemis restèrent plusieurs minutes à s’observer, les regards croisés comme deux lames d’épées.

— Allons, décide-toi donc, paresseux, murmura Balle-Franche.

Le jaguar poussa un sourd rugissement, aiguisa quelques secondes ses griffes formidables sur la branche qui lui servait de piédestal, puis se repliant et se pelotonnant pour ainsi dire sur lui-même, il bondit sur le chasseur. Celui-ci ne bougea pas ; le rifle à l’épaule, les pieds écartés et fortement appuyés en terre, le corps un peu penché, il suivait d’un œil intelligent tous les mouvements du fauve ; au moment où celui-ci s’élança, le chasseur pressa la détente.

Le coup partit, le tigre tournoya dans l’espace avec un hurlement furieux et retomba aux pieds de Balle-Franche. Le Canadien se pencha vers lui, le jaguar était