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LES PIEDS FOURCHUS

Elle aimerait mieux mourir, m’a-t-elle dit, que de vous parler de cela elle-même, car elle sait qu’elle vous briserait le cœur.

— C’est un grand chagrin pour moi, je vous assure, dit le jeune homme avec amertume, mais il faut que je la voie, Tante Sarah ! il le faut : si son langage confirme vos paroles, je la laisserai en paix pour toujours. Il y a là-dessous un effrayant mystère ; nous ne pourrons l’éclaircir qu’en nous rencontrant face à face. Si Lucy Day était une coquette évaporée, je lui dirais adieu immédiatement ; mais je connais sa fierté, son généreux caractère, je serai prudent et patient avec elle. Tout cela vient de son éducation de couvent : plût à Dieu qu’elle n’eût jamais vu Québec ! J’avais de tristes pressentiments aujourd’hui ; sa conduite envers moi depuis une semaine a été bien étrange.

— Étrange ! comment ?

— Je ne pourrais vous exprimer cela convenablement par la parole, Tante Sarah ; mais je suis sûr de ce que je dis ; j’en ai perdu le sommeil, je ne dormirai plus.

— Vous avez, je pense, aussi perdu l’appétit, car ce que vous mangez l’un ou l’autre ne sou-